Lucie DUPRE

Inra:BFC-Service communication

gris CR en Anthropologie
vert Institution : INRAE
Tél : 03 80 77 25 92
gris Mail : lucie.dupre@inrae.fr

Je m’intéresse à la façon dont les mondes agricoles se transforment et se redéfinissent en pratiques et en discours face aux incertitudes, aléas et tensions auxquels ils doivent faire face (dégradation des conditions de travail, affaiblissement démographique, pressions économiques fortes, difficultés d’accès au foncier, raréfaction et/ou dégradation des ressources naturelles, aléas et réchauffement climatiques, érosion de la biodiversité, etc.). Je porte une attention plus particulière aux systèmes agricoles hors normes qui ont été et sont difficiles à classer dans l’échiquier agricole ou qui cherchent à se développer en dehors des impasses liées à la modernisation : le pastoralisme, le maraichage biologique et l’apiculture. Si chacun de ces trois chantiers entre lesquels je circule ont leurs questionnements propres, je m’en saisis à partir de prises relativement proches qui s’articulent étroitement les unes aux autres, ce qui me permet de les penser ensemble et dans leur singularité. L’engagement dans le travail, la question de la mobilité animale, la façon dont le rapport aux ressources naturelles intervient dans la construction des formes de « dénomination de soi » ou encore les façons d’entrer dans le métier sont quelques-unes des questions transversales à ces chantiers.

Le pastoralisme
Ici, c’est la question du pâturage, comme pratique et comme espace, qui m’intéresse : une pratique longtemps disqualifiée par la modernisation agricole, en raison de l’invisibilité du travail sur lequel elle repose (conception des calendriers de pâturages, ajustements et anticipation du déplacement des animaux, gardiennage) et d’un rapport technique à la nature bien singulier. Dans le cadre de l’ANR Mouve, avec mes collègues Jacques Lasseur et René Poccard-Chapuis, nous avons analysé une grande diversité de situations du Nord et du Sud dans lesquelles le pâturage apparait au cœur d’enjeux socio-anthropologique et socio-économiques majeurs : il « fait société ». Dans les Alpes de Haute-Provence, l’élevage pastoral s’affranchit des contraintes foncières, herbagères mais aussi sociales d’un lieu (la vallée alpine) pour se déployer dans des territoires de plaines littorales, liées à d’autres contraintes sociales. Il s’oppose à l’élevage agro-pastoral basé sur la diversification des activités agricoles, la culture de céréales et des troupeaux de petite taille. Ces transformations pastorales sont-elles de nature à segmenter le monde professionnel de l’élevage ? En quoi l’inscription territoriale élargie de ces éleveurs pastoraux transforme-t-elle leur place dans le groupe professionnel et dans les territoires ?

Derniers articles

  • Dupré L., Jacques Lasseur et Julia Sicard, 2018, « Berger, point barre ». Jalons pour une redéfinition pastorale de l’élevage bas-alpin, Etudes rurales : 218-239.
  • Lasseur J. et Dupré L., 2017 « Entre production d’agneaux, incitations environnementales et inscription dans le local ; débats au sein du monde professionnel et reconfigurations des activités d’élevage dans les Alpes du Sud » Pour, n° 231 : 157-165.
  • Dupré L., Lasseur J. et Poccard-Chapuis R., 2015, « Faire pâturer, faire société, durablement », Techniques & Culture 63 : 202-231.
  • Dupré L., Lasseur J. et J. Sicard, 2015, Production sociale de l’herbe et inscription territoriale des éleveurs ovins pastoraux des Alpes du sud, Espaces & Sociétés, 3, n° 170.

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L’apiculture
Ma réflexion sur la question pastorale se prolonge dans le chantier apicole que j’ai ouvert assez récemment et qui lui fait écho d’une façon très singulière. Les mondes apicoles sont très présents sur la scène médiatique et dans les débats publics mais restent fort peu explorés sociologiquement. L’activité connait une dynamique de professionnalisation / rationalisation impulsée par l’Etat à travers un Plan de Développement Durable de l’Apiculture (PDDA), mis en place en 2012, et qui entend aider les apiculteurs à faire face aux nombreuses crises que le secteur traverse. A ce titre, l’apiculture constitue une scène très féconde pour observer et analyser en temps réel la construction d’une professionnalité dont les cadres normatifs sont jusqu’ici assez lâches mais que les dynamiques actuelles tendent à resserrer. Un premier travail exploratoire a été conduit dans le cadre d’un projet soutenu par le Métaprogramme SELGEN. Il a porté sur la question génétique et les stratégies de renouvellement du cheptel apicole chez les apiculteurs professionnels en Bourgogne. Cette recherche confrontée au travail conduit par Agnès Fortier et Pierre Alphandéry chez les amateurs en Ile-de-France, a montré l’irréductible diversité des mondes apicoles : entre les amateurs, les pluriactifs et les professionnels, les enjeux ne sont pas forcément les mêmes, pas plus qu’ils ne se valent au sein d’une même catégorie – la taille du rucher, la certification biologique, le type d’apiculture sédentaire ou mobile, les modes de vente sont autant de facteurs de variabilités, voire de fractures internes. Par ailleurs, l’analyse des pratiques de renouvellement des colonies a conduit à souligner l’importance de l’autonomie, saisie ici dans la diversité de ses dimensions, et qui s’observe dans l’apiculture en général.

Derniers travaux

  • Fortier Agnès, Dupré L. et Alphandéry Pierre, à paraitre 2019, L’autonomie entre marché, rapport à la nature et production de soi. Approche sociologique des pratiques apicoles.
  • Fortier  A., Dupré L. et Alphandéry  Pierre, 2018, « Les conduites d’élevage en apiculture : le choix de l’autonomie. », Colloque international du RIODD, Pour changer ou pour durer : le développement durable en questions, Grenoble, 16-18 octobre, working paper, 16 p.
  • Dupré L. et Fortier A., 2018, « Apiculture et savoirs du vivant : quelle transmission du savoir en personne ? », Colloque International Matières à Savoir-faire : Propriété, circulation et Formation des Savoir-Faire, organisé par le CETCOPRA, Paris 1- Panthéon- Sorbonne, Paris, 14 & 15 décembre.
  • Dupré L., 2019, « L’apiculture ou la pratique du milieu : emplacement des ruchers, place de l’activité », séminaire de Claire Lamine et Marie Jacqué, L’écologisation de l’agriculture et de l’alimentation au cœur des interactions entre science, politique et société, Marseille, Ehess, 7 mars.

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Le maraichage biologique diversifié
Je suis partie du paradoxe établi à l’issu de l’état de l’art : la bio contribuerait à créer de meilleures conditions de travail, mais celui-ci augmente considérablement. La diversification maraichère couplée à la vente directe est une façon d’accéder au métier pour des agriculteurs hors cadre ; elle est aussi une stratégie pour résister  à la crise du secteur et aux impasses sanitaires.

Dans les systèmes diversifiés en vente directe, le rapport au temps et à l’espace est infiniment plus tendu, rendant l’organisation du travail extrêmement complexe. Les cycles de production s’enchaînent vite, le travail de récolte est continu, la béquille chimique étant ôtée, le travail manuel augmente, etc.  Bref, hommes et terre travaillent intensément et longuement, ce qui est susceptible de rendre plus vulnérables ces systèmes de production.  L’élargissement du régime des connaissances, le plaisir retrouvé ou découvert d’un travail global sur le vivant, la satisfaction d’être en accord avec sa conscience, la diversité des tâches rompant la monotonie, la complexité du travail intellectuel, la fierté d’un métier exercé avec passion et reconnu socialement sont autant de facteurs qui viennent, dans la plupart des cas observés, largement compenser tensions et sur-travail, et valoriser des identités professionnelle qui referent dès lors à un “métier” : « j’étais producteur de légumes, je suis devenu maraîcher ». Dans ce travail maraicher, se déploie la possibilité de ce que de Terssac appelle un « travail sujet » garantissant autonomie et créativité.

Publications récentes

  • Dupré L., Lamine Cl. et Navarrete M. , 2017, “Short food supply chains, long working days. Active work and the construction of work satisfaction in organic diversified market farms”, Sociologia ruralis, 57(3) : 396-414
  • Navarrete M., Dupré L. et Lamine C., 2016, “Crop management, labour organization, and marketing: Three key issues for improving sustainability in organic vegetable farming”, International Journal of Agricultural Sustainability, 13, 3 : 257-274.

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Autres publications récentes

  • Julien M.P., Wathelet O. et Dupré L., 2018, « Déjouer le temps et l’espace, reprendre du pouvoir, in « Le temps des aliments. Quelles sociétés de conservation ? » Techniques & Culture 69 : 12-27.
  • Compagnone C., Lamine C. et Dupré L., 2018, « La production et la circulation des connaissances en agriculture interrogées par l’agro-écologie: De l’ancien et du nouveau », Revue d’anthropologie des connaissances, vol. 12, 2 (2), 111-138. doi:10.3917/rac.039.0111.
  • Dupré L., 2016, « Un collectif vraiment singulier », in Gauvain B., Les oubliés de l’agriculture. 1965-2015 : 50 ans d’histoire des salariés agricoles et de l’Asavpa en Aveyron, Association des Salariés Agricoles de l’Aveyron, Rodez : 359-362.

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Coordination de numéros spéciaux

  • Julien M.-P., Wathelet O. et Dupré L., 2018 (coord.) Le temps des aliments. Quelles sociétés de conservation ? Techniques & Culture, n° 69.
  • Compagnone C., Lamine C. et Dupré L., 2018, « La production et la circulation des connaissances en agriculture interrogées par l’agro-écologie: De l’ancien et du nouveau », Revue d’anthropologie des connaissances, vol. 12, 2 (2), 111-138. doi:10.3917/rac.039.0111.
  • Dupré L., Lasseur J. et Poccard-Chapuis R., 2015 (coord), « Pâturages : une introduction », Pâturages, Techniques & Culture 63.